La liberté contractuelle et la fixation du prix dans la vente de fonds de commerce
La Cour de cassation rappelle une règle fondamentale du droit des contrats commerciaux : le juge n’a pas le pouvoir de fixer le prix d’une vente. Cette décision, rendue dans un litige portant sur la cession d’un fonds de commerce de pharmacie, réaffirme le rôle central de la volonté des parties et la portée impérative des articles 1591 et 1592 du Code civil.
Une cession structurée autour d’un mécanisme contractuel de calcul du prix
Dans cette affaire, une pharmacie avait cédé son fonds à une autre officine. Le prix avait été déterminé selon un pourcentage du chiffre d’affaires, fixé à 80 %, avec des ajustements prévus. Le contrat prévoyait également la désignation d’un tiers évaluateur en cas de désaccord sur les éléments chiffrés.
Un différend étant né sur le montant exact du chiffre d’affaires à retenir, la partie venderesse a saisi le tribunal de commerce afin qu’il fixe lui-même le prix définitif de cession.
Les limites de l’intervention du juge dans la fixation du prix
La cour d’appel de Poitiers, par un arrêt du 12 décembre 2023, avait procédé elle-même au calcul des éléments à retrancher et arrêté le prix à 1 035 820 €.
La Cour de cassation a cassé cette décision. Elle rappelle que le juge ne peut suppléer la volonté des parties pour arrêter le prix. Les textes applicables sont clairs :
- l’article 1591 impose que le prix soit déterminé par les parties ;
- l’article 1592 permet que ce prix soit fixé par un tiers, si les cocontractants en conviennent.
Le juge, en revanche, ne peut se substituer ni aux parties ni au tiers désigné.
La Haute juridiction souligne en outre que seul le président du tribunal de commerce de Niort, désigné par le contrat, pouvait nommer ce tiers évaluateur chargé de fixer le prix. En fixant elle-même le prix, la cour d’appel a méconnu la force obligatoire de la convention.
Une vigilance accrue dans la rédaction des clauses de prix
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante, mais elle intervient dans un contexte où les mécanismes de détermination du prix sont de plus en plus élaborés, notamment lors de la cession de fonds de commerce ou d’entreprises.
L’évaluation du prix doit résulter exclusivement du mécanisme contractuel prévu. À défaut, la validité et la sécurité de l’opération peuvent être fragilisées et toute intervention du juge hors du cadre contractuel est exposée à la censure.
Il est ainsi recommandé de porter une attention particulière à la rédaction des clauses relatives :
- aux modalités de calcul du prix ;
- aux mécanismes d’ajustement ;
- à la désignation du tiers évaluateur ;
- aux conditions de saisine de ce tiers et à l’étendue de ses pouvoirs.
Conclusion. Cette décision illustre la volonté de la Cour de cassation de protéger la liberté contractuelle dans les ventes commerciales. Le prix doit rester l’expression de la volonté des parties ou du tiers choisi par elles. Le juge n’a pas vocation à intervenir pour fixer lui-même le prix. La sécurisation des clauses de prix et des clauses de désignation du tiers évaluateur demeure donc un enjeu majeur lors de la vente d’un fonds de commerce.