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Image  Margot Fritsch et Daphné Lacroix, étudiantes du Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine-PSL

Concentrations : la Commission adopte un nouveau paquet simplification

Affaires - Droit économique
07/06/2023
La Commission a publié, le 20 avril 2023, un paquet visant à la simplification de traitement des opérations de concentration. Pour l’essentiel, ce paquet se situe dans la continuité des précédentes mesures proposées par la Commission en la matière. Il vise à permettre un traitement allégé de certaines situations qui, en pratique, ont une faible probabilité de présenter des risques anticoncurrentiels.
Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris Dauphine-PSL

L’analyse des concentrations par la Commission européenne a fait l’objet, dès le début des années 2000, d’une recherche de simplification, avec l’introduction d’une procédure simplifiée. Cette tendance a été confirmée en 2013, avec l’adoption d’une série de mesures par la Commission, afin d’élargir les possibilités de recours à la procédure simplifiée, portant à 60-70 % les cas de procédure simplifiée (Comm. UE, Communiqué de presse, 5 déc. 2013). À la suite de son évaluation des mesures de simplifications existantes, la Commission a proposé ce 20 avril 2023 un nouveau paquet (v. La Commission européenne simplifie ses procédures de contrôle des opérations de concentration, Actualités du droit, 25 avr. 2023).

Ce paquet se compose d’un règlement d'application révisé du règlement sur les concentrations, d’une communication relative à une procédure simplifiée et d’une communication sur la transmission de documents.

Ces évolutions s’inscrivent dans un contexte de forte augmentation des notifications d’opérations de concentration, avec plus de 8 000 notifications depuis la première règlementation européenne en la matière (Comm. UE, Document de travail, 26 mars 2021, p. 16), et de manière symétrique une diminution du taux d’intervention de la Commission concernant ces notifications – passant sous la barre des 6 % en 2020 (Comm. UE, Document de travail, 26 mars 2021, p. 17).

Selon Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive chargée de la politique de concurrence, le paquet présenté par la Commission s’inscrit dans cette recherche de « réduction de la charge administrative en facilitant le processus de notification pour les parties, dans l’intérêt non seulement des entreprises et de leurs conseillers, mais aussi de la Commission, qui pourra concentrer ses ressources sur les affaires les plus complexes » (Comm. UE, Communiqué de presse, 20 avr. 2023).

La mise en place d'un traitement simplifié des notifications des opérations de concentration

En 2014, la Commission publiait son livre blanc « Vers un contrôle plus efficace des concentrations dans l’UE », affirmant l’importance de réduire la charge administrative afférente au contrôle des concentrations. Dans cette optique, le rapport soulignait déjà l’intérêt d’étendre le recours à la procédure simplifiée pour les cas de concentrations non problématiques, cette procédure permettant la diminution des informations à transmettre ainsi que l’adoption d’une décision de comptabilité dans un délai réduit par rapport à la procédure classique (25 jours à compter de la notification de l’opération de concentration).

L’évaluation d’impact réalisée en 2021 par la Commission (p. 49 et s.) montre ainsi que l’efficience du contrôle des opérations n’a pas été affectée par le package de 2013, notamment grâce au pouvoir discrétionnaire dont bénéficie la Commission, lui permettant de faire basculer des cas correspondant à la procédure simplifiée en procédure classique – 22 cas concernés entre 2014 et 2020. La consultation publique ouverte par la Commission le 26 mars 2021 a fait ressortir que les parties prenantes privées étaient favorables à l’extension des catégories concernées par la procédure simplifiée, là où les parties prenantes publiques – notamment les autorités nationales de concurrence – considéraient qu’une extension supplémentaire n’était pas nécessaire.

Si la Commission se prononce quant à elle favorablement à une possible extension, au regard des gains d’efficience associés, elle appelle néanmoins à une extension prudente au regard des risques existants, et notamment une dégradation du repérage des opérations de concentrations potentiellement problématiques.
 
Pour autant, les principales opérations de concentration passant aujourd’hui sous le radar des services de concentration ne concernent pas forcément les opérations bénéficiant d’une procédure simplifiée, mais bien celles étant en-dessous des seuils de compétence de la Commission, et pouvant néanmoins présenter d’importants risques anticoncurrentiels (notamment dans le secteur numérique et pharmaceutique). On comprend d’autant plus la volonté de la Commission de réallouer une partie de ses moyens, pour se concentrer sur ces cas complexes (v. Renvoi à la Commission d’une opération de concentration sous les seuils : l’acquisition de Grail par Illumina interdite, Actualités du droit, 28 sept. 2022).

Les mesures retenues : une simplification étendue du contrôle des concentrations

Face à cette volonté d’élargissement des procédures de simplification, différents axes étaient présentés par la Commission.  Il s’agissait « i) [d’] élargir et préciser les catégories d’opérations qui peuvent être traitées selon la procédure simplifiée; ii) [de] rationaliser l’examen des opérations traitées selon la procédure simplifiée; iii) [de] rationaliser l’examen des opérations traitées selon la procédure normale; et iv) [d’] envoyer les documents par voie électronique » (Comm. UE, Rapport d’analyse d’impact, 20 avr. 2023).

De manière générale, les options retenues par le paquet présenté par la Commission sont celles qui aboutissent au degré de simplification le plus important, notamment en proposant un cumul des différents scénarios Dans le cas de l’élargissement du recours à la procédure simplifiée, il a ainsi été retenu « l’introduction d’une clause de flexibilité (1), l’ajout de nouvelles catégories d’opérations pouvant bénéficier de la procédure simplifiée (2) et la révision de la portée et l’interprétation des garanties et exclusion prévues par la communication [de la Commission de 2013] (3) », permettant à cette procédure simplifiée de couvrir 11 % d’opérations supplémentaires par rapport à la situation actuelle.

On peut noter que les parties prenantes publiques et privées se sont déclarées globalement favorables aux différentes options proposées par la Commission. Les parties prenantes publiques ont néanmoins émis certaines préoccupations concernant le maintien de garanties suffisantes face à l’extension des procédures simplifiées (option 3). À l’inverse, pour certaines parties prenantes privées, quelques-unes de ces garanties demandent un niveau de détail trop important, ce qui serait incohérent et injustifié dans le cadre de la procédure simplifiée.

L’extension des catégories relevant de la procédure simplifiée

En matière d’extension des différentes catégories de cette procédure simplifiée, les principales innovations consistent en une clarification des catégories relevant de la procédure simplifiée qui répondent au point 5 de la Communication, ainsi qu’à l’ajout de deux nouvelles catégories principales concernant les relations verticales : dès lors « que les parts de marché individuelles et cumulées de l’ensemble des parties à la concentration sur un marché de produits en amont ou en aval d’un marché de produits sont inférieures à 30 % sur les marchés en amont et en aval » ou qu’elles « sont inférieures à 50 % sur les marchés en amont et en aval, avec l’accroissement  de l’ IHH  en résultant inférieur à 150 sur les marchés en amont et en aval ».

L’introduction d’une clause de flexibilité dans la communication relative à la procédure simplifiée

Les parties doivent notifier à la Commission selon la procédure normale les concentrations de dimension européenne ne relevant pas de la procédure simplifiée. Or jusqu’à présent, un certain nombre d’opérations non problématiques étaient traitées selon la procédure normale.

Une clause de flexibilité a été introduite dans la communication relative à la procédure simplifiée (pts 8 et 9) donnant à la Commission le pouvoir discrétionnaire de traiter selon la procédure simplifiée certaines procédures qui pourtant ne relèvent pas des catégories de concentrations éligibles.

La clause de flexibilité peut permettre un passage de la procédure normale à la procédure simplifiée lorsque :

— la part de marché cumulée des parties à la concentration concernées par un chevauchement horizontal est comprise entre 20 et 25 % ;

— les parts de marché individuelles et cumulées des parties à la concentration concernées par une relation verticale (c’est-à-dire sur les marchés en amont et en aval) sont comprises entre 30 à 35 % ;

— les parts de marché individuelles et cumulées des parties à la concentration concernées par une relation verticale ne dépassent pas 50 % sur un marché et 10 % sur tous les autres marchés liés verticalement ;

— l’acquisition du contrôle en commun d’une entreprise commune dont le chiffre d’affaires est inférieur à 150 millions d'euros dans l'Espace économique européen (l'EEE) et la valeur totale des cessions d’actifs à l’entreprise commune est inférieure à 150 millions d’euros.

En effet, il ressort du rapport d’analyse d’impact que les opérations pour lesquelles les seuils de part de marché pour bénéficier d’une procédure simplifiée sont dépassés de 5 % maximum ne posent généralement pas de problèmes.

La simplification des formalités administratives pour le contrôle des concentrations

Le formulaire CO simplifié a été remplacé par un formulaire rationalisé avec moins de questions ouvertes et constitué de cases à cocher ainsi que de tableaux à remplir (Règl. exécution, 20 avr. 2023, ann. II). Le formulaire CO de la procédure normale a également été simplifié : certaines exigences d’informations demandées ont été supprimées et une section révisée sur les dérogations clarifie les possibilités de dérogations.

De plus, à partir du 1er septembre 2023, les documents devront faire l’objet d’une transmission entièrement numérique au moyen de signature électronique qualifiée (SEQ) (voir la Communication sur la transmission des documents).

Enfin, la Communication introduit des catégories d’affaires pouvant bénéficier d’un traitement super-simplifié, c’est-à-dire d’une notification sans contacts préalables avec la Commission. Par exemple, lorsque des entreprises acquièrent le contrôle en commun d’une entreprise commune ne réalisant pas de chiffre d’affaires actuel ou prévu sur le territoire de l’EEE et qu’elles n’ont pas prévu de céder des actifs dans l’EEE.
 
Attention, pour les opérations qui entrainent des chevauchements horizontaux ou des relations verticales entre les parties à la concentration, il reste fortement conseillé d’établir des contacts préalables à la notification.

Enjeux et développements futurs des nouvelles règles relatives à la procédure simplifiée

L’évaluation des risques d’une rationalisation du contrôle des concentrations

L’Autorité de la concurrence alertait sur l’impossibilité d’exclure l’existence d’une stratégie de verrouillage en raison de faibles parts de marché sur le marché en amont ou en aval (Comm. UE, Rapport d’analyse d’impact, 20 avr. 2023).

Dès lors, des garanties et exclusions peuvent permettre d’éviter une rationalisation excessive du contrôle des concentrations. À ce titre, la nouvelle communication relative à la procédure simplifiée donne une liste enrichie de circonstances dans lesquelles la Commission peut revenir à la procédure normale, alors qu’une affaire remplit les conditions de la procédure simplifiée ou de la clause de flexibilité.

Contrairement à l'actuel formulaire simplifié, le formulaire révisé contient une liste de garanties et d’exclusions. Les parties notifiantes sont tenues d'indiquer si ces garanties et exclusions peuvent s’appliquer afin de permettre à la Commission de détecter une concentration problématique (Règl. exécution, ann. II). Parmi cette liste de garanties et d’exclusions nous pouvons citer : le fait que les parties soient des innovateurs importants sur les marchés qui se chevauchent ; ou encore que la concentration donne lieu à des chevauchements entre des produits en développement, ou entre des produits en développement et des produits commercialisés. En effet, la Commission rappelle dans sa foire aux questions le caractère prioritaire de la protection des innovations.

L’ensemble de ces garanties et exclusions permet donc d’éviter l’application de la procédure simplifiée aux affaires susceptibles de porter atteinte à la concurrence et au marché intérieur.

En outre, si 18 % des cas d’intervention de la Commission sur la période 2015-2020 présentant des chevauchements horizontaux avec une part de marché combinée inférieure à 25 % (et qui pourraient donc bénéficier aujourd’hui de la procédure simplifiée) présentaient effectivement des risques concurrentiels, il ressort du rapport d’analyse d’impact que dans chacun de ces cas, un certain nombre de facteurs facilement identifiables auraient probablement conduit la Commission à examiner de près les effets de l'opération concernée.

Les gains attendus de la rationalisation du contrôle des concentrations

Les objectifs attendus de la rationalisation du contrôle des concentrations sont de permettre à la Commission de se concentrer sur les affaires qui méritent un examen approfondi et de réduire les coûts et les charges administratives pesant sur la Commission et les entreprises. Ces mesures devraient également conduire à une réduction du délai d’obtention d’une décision de compatibilité pour les cas non problématiques.

En ce qui concerne l'impact sur la compétitivité, la réduction de la charge administrative permettra des économies de coûts et des gains d’efficacité présentant un réel intérêt pour les entreprises, et participe au renforcement de l’attractivité du droit européen. Toutefois, le nombre d'entreprises concernées est faible (quelques centaines par an) ; l'impact global restera donc in fine limité. En outre, le nombre de cas supplémentaires couverts par la procédure simplifiée devrait rester limité (voir Comm. (UE), Rapport d’analyse d’impact, 20 avr. 2023).

En tout état de cause, la Commission assurera un suivi continu de cette législation et prévoit de discuter avec les parties prenantes pour comprendre les éventuelles difficultés rencontrées dans l’application des règles révisées.

Les mesures présentées par la Commission, qui entreront en vigueur au 1er septembre 2023, continuent donc leur numéro d’équilibrisme, entre réduction de la charge administrative pesant sur les entreprises notifiantes et la Commission, et protection contre les risques concurrentiels (notamment via le mécanisme de clause de flexibilité).

Rédigé par Margot Fritsch et Daphné Lacroix, étudiantes du Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine-PSL
Source : Actualités du droit